La Cour des comptes alerte sur les failles de la gestion de la forêt guyanaise. Dans son rapport d’observations rendu public le 21 juillet dernier, elle appelle à des clarifications urgentes et des arbitrages politiques.
La forêt guyanaise couvre 8,02 millions d’hectares, soit 96 % du territoire de la Guyane, ce qui en fait « le plus vaste massif forestier français d’outre-mer » comme expliqué dans le Cahier 1 des observations définitives. Elle représente 1,5 % de l’Amazonie et 31,3 % de la forêt française. Principalement propriété de l’État, elle est gérée à 75 % par l’Office national des forêts (ONF), tandis que le cœur du Parc amazonien de Guyane (PAG) – soit 2 des 3,38 millions d’hectares qu’il couvre – est directement administré par cet établissement public.
Selon le communiqué publié le 21 juillet 2025, qui accompagne les deux cahiers d’observations définitives, cette forêt constitue une ressource stratégique, à la fois environnementale, économique et culturelle. Mais la Cour des comptes y constate des failles majeures dans la connaissance, la gestion et la protection de cet espace unique. En plus de son enquête, la Cour a souhaité alerter le Premier ministre par la voie d’un référé.
Un cadre de gestion flou et des ambitions hors d’atteinte
La Cour souligne que la gestion de cette forêt est entravée par « la multiplicité des statuts » qui lui sont appliqués (Cahier 1). Le régime forestier, normalement défini par le code forestier pour assurer une gestion durable, « a été historiquement limité au domaine forestier permanent situé au nord du territoire ». Or, avec la croissance des communes de l’intérieur, l’exploitation gagne désormais des zones « non couvertes par ce régime », sans que les nouveaux dispositifs de gestion soient encore clarifiés.
Le manque de lisibilité affecte aussi les transferts fonciers issus de l’Accord de Guyane de 2017, qui prévoyait « 250 000 hectares à destination des collectivités locales et 400 000 hectares pour les communautés amérindiennes et bushinengues ». Mais selon la Cour, leur mise en œuvre souffre « d’un manque de clarté juridique et pratique, en l’absence d’un cadre précis établi par l’État ».
Sur le plan économique, le développement de la filière bois reste très limité. En cause : un modèle « insuffisamment développé et rentable », un financement déclinant des infrastructures forestières – « de 2,4 M€ par an actuellement, il devrait baisser à 1,7 M€ d’ici 2027 » – et une gestion à faible impact qui, depuis 2008, « limite le nombre d’arbres extraits par hectare ».
La production de bois, censée tripler d’ici 2029 selon le programme régional forêt-bois, semble compromise. « Avant d’envisager une augmentation de la production, il est essentiel de mieux cibler les soutiens publics », estime la Cour.
Orpaillage illégal, changement climatique et pilotage insuffisant
La forêt guyanaise subit également une pression croissante de l’orpaillage illégal. Ces activités « repartent à la hausse avec l’augmentation du cours de l’or », peut-on lire dans le Cahier 1. Elles provoquent « des zones déforestées et polluées couvrant des milliers d’hectares » et un coût de réhabilitation estimé « à 23 M€ par an ». L’orpaillage légal, lui, reste entravé par une faible rentabilité, des manquements environnementaux fréquents et une filière encore peu structurée.
À ces menaces s’ajoute le dérèglement climatique. Les projections évoquent « une hausse des températures de 1,5 à 3,8 °C et une réduction des précipitations de 20 à 30 % à l’horizon 2100 ». Des phénomènes comme La Niña ont déjà entraîné « des dépérissements visibles dans le nord-ouest de la Guyane entre 2020 et 2022 ». Alors que la forêt guyanaise stocke à elle seule 2,2 milliards de tonnes de carbone, soit 27 % des stocks français, elle pourrait devenir une source nette d’émissions.
Enfin, la Cour pointe la fragilité du pilotage. Les moyens cumulés de l’ONF et du PAG atteignent 19,2 M€ en 2023, dont « 69 % sont composés de subventions ». Mais ces opérateurs « ne peuvent, à eux seuls, répondre aux enjeux qui dépassent largement leurs capacités ».
Du côté du Parc amazonien de Guyane, le Cahier 2 souligne que si la qualité de la comptabilité générale « n’appelle pas d’observations », plusieurs faiblesses demeurent. Le contrôle interne reste à renforcer, notamment « en l’absence de concordance entre habilitations informatiques et délégation de signature ». De plus, les budgets ont tous été votés en déficit entre 2017 et 2023. Cette situation est « pérennisée par une gestion structurellement déséquilibrée ».
Face à ces constats, la Cour recommande en priorité une clarification des statuts fonciers et des dispositifs de gestion, ainsi qu’un meilleur appui à la connaissance des écosystèmes. « La forêt guyanaise mérite que des arbitrages politiques soient opérés, dans un calendrier contraint, au regard des enjeux climatiques et économiques qui la traversent », conclut-elle.