Trois ONG guyanaises ont déposé des observations dans une procédure d’arbitrage où la société Nordgold demande plus de 4,5 milliards de dollars à l’État français pour l’abandon du projet Montagne d’Or.
Le 4 juillet 2025, trois organisations de la société civile – le Collectif des Premiers Nations (CPN), l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane (ONAG) et Guyane Nature Environnement (GNE) – ont déposé des observations en qualité d’amicus curiae dans le cadre d’une procédure d’arbitrage international opposant l’État français à deux holdings russes, Severgroup LLC et KN Holding LLC. Ces dernières, contrôlées par l’oligarque Alexey Mordashov, placé sous sanctions européennes, sont actionnaires majoritaires de Nordgold, entreprise impliquée dans le projet minier Montagne d’Or en Guyane.
Une demande record contre l’État français
Ce recours est déposé au titre d’une procédure de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS ou RDIE), prévue par le traité bilatéral d’investissement signé entre la France et la Russie en 1989. Plus de 4,5 milliards de dollars de compensation seraient réclamés à la France par les investisseurs, pour des manquements présumés à leurs droits d’exploiter de l’or et d’autres ressources naturelles en Guyane. Cette affaire constitue « le premier véritable cas majeur d’arbitrage d’investissement contre la France ».
Le projet Montagne d’Or, une mine d’or à ciel ouvert de grande ampleur, avait été rejeté en 2019 par le Conseil de défense écologique, qui le jugeait « incompatible avec les exigences environnementales fixées par l’exécutif ». La Compagnie de la Montagne d’Or, créée en 2016 et détenue à 55 % par Nordgold, avait par la suite engagé un long contentieux administratif. Celui-ci s’est soldé en novembre 2024 par une décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, confirmant la légalité du refus de prolongation des concessions minières par l’administration.
Un projet contesté sur les plans écologique et social
Ce recours arbitré par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (affaire CPA n° 2022-13) relance donc un dossier hautement controversé. Le projet Montagne d’Or avait fait l’objet d’importantes mobilisations en Guyane et en France, en raison « des impacts massifs attendus sur les droits humains et sur l’environnement ». Parmi les risques pointés par les ONG figurent l’utilisation de cyanure, le recours à des explosifs, la destruction d’habitats naturels sensibles et la pollution durable des écosystèmes locaux.
Selon Nolwenn Rocca (GNE), « On est face à un cas inédit de mauvaise foi des investisseurs russes qui ont acquis une société dans un contexte très défavorable car elle ne pouvait légalement obtenir la prolongation de ses concessions, puisqu’elle multipliait les exploitations illégales et manquait à son obligation de réhabilitation des sites miniers ». Elle ajoute que « les holdings russes tentent leur dernier coup de poker […] pour faire indemniser leurs mauvais investissements par l’État français », alors même que « les citoyens s’y étaient opposés en raison de la grave atteinte à leur droit à un environnement sain ».
Le délégué général de Notre Affaire à Tous, Jérémie Suissa, considère pour sa part que « cette affaire illustre la nécessité de poser des limites d’intérêt général aux droits des investisseurs privés ». Il dénonce une logique dans laquelle « le fait que deux États aient signé un accord bilatéral ne peut pas prévaloir sur l’intérêt général mondial ».
Un arbitrage qui interroge sur la souveraineté écologique
L’émergence de ce cas suscite des questions plus larges sur les capacités des États à mener une politique de transition écologique ambitieuse. Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen, rappelle que « cette affaire intervient dans un contexte de tensions croissantes entre obligations de protection des investissements étrangers et impératifs de préservation environnementale pointées du doigt à la fois par le GIEC et l’IPBES ». Elle estime qu’elle « questionne la capacité des États à redéfinir leurs priorités en matière de transition écologique face aux engagements contractés dans le cadre des traités d’investissement ».
Les ONG requérantes ont été assistées dans cette démarche par les cabinets d’avocats Baldon et Seattle Avocats. Si les observations de Guyane Nature Environnement, du CPN et de l’ONAG ont été acceptées, celles du WWF, de l’Institut Veblen et de Notre Affaire à Tous ont été rejetées sans justification. Une situation d’autant plus sensible que la Guyane concentre « 50 % de la biodiversité française » mais reçoit « peu de crédits dédiés à la préservation de l’environnement », selon GNE.
L’issue de cet arbitrage pourrait ainsi créer un précédent juridique et financier important pour la France, contraignant sa politique environnementale future et interrogeant la place des traités d’investissements dans la définition des choix collectifs.