Le 8 septembre 2025, le ministère de la Santé lançait un nouveau pacte contre les déserts médicaux, identifiant 151 « zones rouges » prioritaires en métropole et outre-mer. Mais la Martinique, pourtant confrontée à des difficultés d’accès aux soins, se retrouvait écartée du dispositif. En Guadeloupe, seule la communauté du Nord Basse-Terre était retenue. Cette exclusion partielle des Antilles relance le débat sur l’adaptation des politiques nationales de santé aux réalités ultramarines, où les chiffres de densité médicale masquent des inégalités territoriales criantes.
Un paradoxe statistique : des médecins nombreux, mais mal répartis
Les statistiques nationales dressent un tableau rassurant pour les départements d’outre-mer. En 2025, la Guadeloupe compte 149,4 médecins généralistes pour 100 000 habitants, la Martinique 135,8, et La Réunion 141,7. Ces chiffres placent ces territoires au-dessus de la moyenne métropolitaine de 117,21 médecins pour 100 000 habitants. Seule la Guyane se situe en dessous, avec 101,2 généralistes pour 100 000 habitants, en raison de sa faible densité de population et de l’enclavement de nombreuses communes de l’intérieur.
Mais ces moyennes nationales occultent une réalité bien plus préoccupante : une inégale répartition géographique au sein même des territoires. Dans les chefs-lieux (Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Cayenne), l’offre médicale est relativement abondante, concentrant cabinets de ville, cliniques privées et centres hospitaliers. En revanche, les communes rurales, les bourgs enclavés et les quartiers périphériques connaissent de véritables déserts médicaux.
En Martinique, plusieurs communes du nord (Grand’Rivière, Macouba, Basse-Pointe) et du sud (Sainte-Anne, Le Marin) peinent à attirer et retenir des médecins généralistes. En Guadeloupe, les îles dépendantes (Les Saintes, La Désirade, Marie-Galante) ainsi que certaines communes de la Basse-Terre souffrent d’un sous-équipement chronique. En Guyane, au-delà de Cayenne et de quelques centres urbains (Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni), l’essentiel du territoire reste dépourvu de médecins permanents.
Le nouveau pacte contre les déserts médicaux : un dispositif inadapté ?
Le pacte national contre les déserts médicaux, dévoilé le 8 septembre 2025, propose aux médecins libéraux d’exercer jusqu’à deux jours par mois dans l’une des 151 zones prioritaires identifiées. En contrepartie, ils perçoivent 200 euros par jour de présence, auxquels s’ajoutent les honoraires classiques de 30 euros par consultation.
Ce dispositif repose sur le volontariat et vise à apporter un renfort ponctuel aux territoires en tension. Mais son application outre-mer soulève des interrogations. La Martinique, malgré des difficultés d’accès aux soins reconnues par l’Agence régionale de santé (ARS) locale, n’a pas été intégrée au système. Seule la communauté du Nord Basse-Terre en Guadeloupe figure parmi les zones retenues, ainsi que la Guyane et Mayotte.
L’ARS de Martinique a contesté cette exclusion, soulignant que la méthodologie utilisée pour identifier les zones prioritaires ne tient pas compte des spécificités ultramarines. Le découpage intercommunal, pertinent en métropole, s’avère inadapté à des territoires insulaires de petite taille, où les distances kilométriques ne reflètent pas les difficultés d’accès réelles (routes sinueuses, relief montagneux, absence de transports en commun).
De plus, le dispositif national ne prend pas en considération le vieillissement de la population médicale locale. En Martinique comme en Guadeloupe, une part importante des médecins généralistes approche de la retraite, sans relève assurée. Les jeunes praticiens, formés en métropole, préfèrent souvent s’installer dans les grandes villes hexagonales plutôt que de revenir exercer dans leur territoire d’origine.
Des aides à l’installation existantes, mais insuffisantes
Avant le pacte de septembre 2025, des dispositifs d’aides à l’installation existaient déjà pour inciter les médecins à s’installer dans les zones sous-dotées. La convention médicale prévoit des aides financières versées en deux temps : 50 % lors de l’installation, et 50 % après un an d’exercice. Ces aides, dont le montant varie selon les contrats locaux négociés par les ARS, peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros.
En Guadeloupe, le Portail d’accompagnement des professionnels de santé (PAPS) recense l’ensemble des aides disponibles pour les médecins souhaitant s’installer. Outre les aides nationales, des dispositifs régionaux et départementaux complètent le financement : aide à l’acquisition de matériel médical, prise en charge de frais de formation continue, mise à disposition de locaux à loyer modéré.
Mais ces incitations financières, même substantielles, ne suffisent pas à compenser les handicaps structurels des territoires ultramarins. Le coût de la vie, nettement supérieur à la métropole, réduit l’attractivité des rémunérations. L’isolement professionnel, le manque de structures de remplacement pour les congés, et l’absence de perspectives d’évolution de carrière découragent nombre de jeunes médecins.
De plus, les démarches administratives pour bénéficier des aides restent complexes et chronophages. Entre les dossiers à constituer, les délais de traitement, et les contrôles de conformité, plusieurs mois peuvent s’écouler avant le versement effectif des sommes promises.
Le recours controversé aux médecins étrangers
Face à la pénurie persistante, certaines collectivités ultramarines ont tenté de recruter des médecins étrangers. En 2018, un projet de recrutement de médecins cubains avait été évoqué pour l’outre-mer, suscitant des réactions contrastées. Les partisans y voyaient une solution pragmatique pour pallier l’absence de praticiens français. Les opposants dénonçaient un aveu d’échec des politiques publiques et s’inquiétaient des conditions d’exercice de ces médecins étrangers, parfois confrontés à des barrières linguistiques et culturelles.
Depuis, plusieurs initiatives locales ont vu le jour, avec le recrutement de médecins formés en Europe de l’Est, en Afrique francophone ou dans les Caraïbes anglophones. Mais ces dispositifs restent marginaux et ne constituent pas une réponse durable au problème de fond.
En Guyane, où l’accès aux soins relève parfois de l’urgence humanitaire pour les populations amérindiennes et bushinengués de l’intérieur, des missions médicales temporaires sont organisées, avec le concours de médecins volontaires métropolitains et de personnels de santé militaires. Mais ces interventions ponctuelles ne remplacent pas une présence médicale pérenne.
Les limites du tout-financier
L’analyse des politiques d’incitation à l’installation montre les limites d’une approche purement financière. Certes, les aides monétaires jouent un rôle, notamment pour financer l’acquisition de matériel et amortir les premières années d’exercice. Mais elles ne résolvent pas les problèmes structurels qui dissuadent les médecins de s’installer durablement outre-mer.
Premier obstacle : la formation. La quasi-totalité des étudiants en médecine ultramarins effectuent leurs études en métropole, faute de facultés de médecine complètes dans les DOM. Après plusieurs années passées dans l’Hexagone, beaucoup s’y installent professionnellement et personnellement, et ne reviennent plus. Les rares qui rentrent privilégient les chefs-lieux, où se concentrent les opportunités professionnelles et les infrastructures.
Deuxième obstacle : les conditions d’exercice. Dans les zones rurales ultramarines, les médecins travaillent souvent seuls, sans confrères pour partager les gardes ou assurer les remplacements. Cette solitude professionnelle pèse lourdement, surtout pour les jeunes praticiens habitués au travail en équipe hospitalière. L’absence de plateaux techniques à proximité (scanners, IRM, laboratoires d’analyses spécialisés) complique également la prise en charge de pathologies complexes.
Troisième obstacle : le cadre de vie. Si les Antilles et la Guyane offrent des paysages attractifs, les réalités quotidiennes (insécurité dans certains quartiers, manque d’activités culturelles, éloignement familial) peuvent rebuter des médecins métropolitains envisageant une installation temporaire.
Vers une révision des zonages et des méthodes
Le débat sur l’exclusion de la Martinique du pacte de septembre 2025 a relancé les discussions sur la méthodologie de définition des zones sous-dotées. Les élus locaux et les professionnels de santé réclament une révision des critères, pour mieux prendre en compte les spécificités ultramarines : insularité, vieillissement démographique, inégalités infra-territoriales.
L’ARS de Martinique a rappelé que des actions locales étaient déjà menées pour lutter contre les déserts médicaux, en partenariat avec les collectivités et les établissements de santé. Parmi elles : le développement de maisons de santé pluridisciplinaires, permettant aux médecins de mutualiser locaux et moyens ; la promotion de la télémédecine, pour pallier l’absence de spécialistes dans certaines zones ; ou encore le soutien aux jeunes médecins remplaçants, via des bourses d’installation.
Mais ces initiatives restent fragiles, tributaires des budgets locaux et de la mobilisation des acteurs. Elles ne bénéficient pas toujours de l’appui de l’État, focalisé sur les dispositifs nationaux pensés pour la métropole.
Un enjeu de santé publique et d’égalité territoriale
Au-delà des chiffres de densité médicale, la question de l’accès aux soins en outre-mer renvoie à un enjeu d’égalité républicaine. Comment garantir à tous les citoyens, qu’ils résident à Paris, à Fort-de-France ou à Maripasoula, le même niveau de prise en charge médicale ?
Les déserts médicaux ultramarins ne sont pas une fatalité. Ils résultent de choix de politiques publiques : sous-investissement dans les infrastructures sanitaires locales, absence de facultés de médecine complètes, difficultés d’accès aux spécialisations pour les étudiants ultramarins, insuffisance des mesures de compensation de la vie chère.
En 2025, malgré les annonces et les dispositifs d’aides, le problème demeure entier. Les médecins restent concentrés dans les centres urbains, les zones rurales continuent de manquer de praticiens, et les populations les plus fragiles peinent à accéder aux soins de base. Tant que les politiques publiques ne s’attaqueront pas aux causes structurelles de cette désertification médicale, les incitations financières resteront des palliatifs, incapables de renverser durablement la tendance.








