Alors que les côtes antillaises subissent un nouvel épisode d’échouage massif de sargasses, des scientifiques de l’IRD ont récemment publié un article expliquant la cause de leur soudaine prolifération : l’exceptionnelle oscillation nord-atlantique de 2009-2010.
Quelle est la cause de la soudaine prolifération massive des sargasses s’échouant sur les côtes des Antilles et de l’Afrique de l’Ouest depuis 2011 ? Pour répondre à cette question les scientifiques de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) ont développé un modèle numérique représentant à la fois le transport de ces algues brunes et leur physiologie.
« Il s’agit de déterminer si le phénomène est lié à une augmentation de l’apport en nutriments dans l’océan Atlantique – d’origine continentale ou atmosphérique – qui doperait la production des algues ou bien s’il tient au transport sur de longues distances et à la dispersion d’une population initiale de sargasses lors de l’épisode de l’oscillation Nord-Atlantique (NAO) de 2009-2010, d’une ampleur exceptionnelle », explique Julien Jouanno, océanographe physicien à l’IRD au sein de l’unité LEGOS et co-auteur de l’article « Un événement extrême de l’Oscillation Nord-Atlantique a provoqué le basculement du Sargassum pélagique », publié le 8 février dernier.
Comme le rappelle l’IRD, établissement public à caractère scientifique et technologique français sous la tutelle des ministères chargés de la Recherche et de la Coopération, le Sargassum pélagique est une algue brune flottante qui se développe en pleine mer, contrairement aux espèces fixées au fond marin. Formant de vastes radeaux à la surface de l’eau, elle prospérait à l’origine dans la mer des Sargasses, « un environnement oligotrophe particulièrement pauvre en éléments minéraux nutritifs essentiels à la croissance des organismes photosynthétiques aérobies ».
« Elle est donc très opportuniste, ayant développé la capacité de stocker les nutriments dans ses tissus et de fixer l’azote de l’air pour s’adapter à ces conditions rigoureuses. Sa croissance, sensible à la température, est optimale entre 26 et 29°C. Celle-ci était donc limitée dans la mer des Sargasses en raison des saisons froides. Mais en rencontrant des conditions plus favorables, la dynamique de cet organisme opportuniste a radicalement changé », résume l’IRD.
Quant à la cause de sa soudaine prolifération, c’est la seconde hypothèse qui est validée. « La simulation des courants dans l’Atlantique de 2002 à 2022 confirme bien le rôle de l’exceptionnelle oscillation nord-atlantique de 2009-2010 : elle est à l’origine d’une anomalie de courant qui a transporté des sargasses hors de la mer des Sargasses vers les régions tropicales où elles prolifèrent depuis », explique l’IRD.
« La simulation numérique, qui s’appuie sur les connaissances actuelles que l’on a de la croissance des sargasses, montre qu’elles rencontrent des conditions naturellement plus favorables à leur développement dans leur nouvelle zone de prolifération que dans la mer des Sargasses », précise Julien Jouanno. Soleil, eau chaude et présence de nutriments comptent parmi les conditions de leur, malheureusement, si bon développement. Malheureusement, car elles constituent un véritable fléau là où elles s’échouent, pour des raisons principalement sanitaires et économiques.
« L’oscillation nord-atlantique est un phénomène à la fois océanique et atmosphérique. Il fait référence aux mouvements de va-et-vient, selon un axe nord-sud, de masses d’air situées au-dessus de l’Arctique et de l’Islande en direction des Açores et de la péninsule Ibérique », définit le site Futura-sciences. Et de préciser que la NAO (North Atlantic Oscillation), influence le climat (température, précipitations) sur tout le pourtour de l’Atlantique nord, principalement en Europe, et occasionne entre autres des changements de pression au sol qui conditionnent directement la position et l’intensité de l’anticyclone des Açores.
« Si nos expériences numériques démontrent le lien entre le bouleversement de la dynamique des sargasses de 2011 et la phase négative de la NAO en 2009-2012, il reste à comprendre pourquoi cela ne s’est pas produit auparavant », estime Julio Sheinbaum, océanographe physicien au Centre de recherche scientifique et d’enseignement supérieur d’Ensenada, au Mexique, cité par Olivier Blot dans le Mag’ de l’IRD, en mars dernier.
Reste donc à définir la cause de cet épisode d’oscillation nord-atlantique de 2009-2010 ayant entraîné la dispersion des sargasses en dehors de la zone où elles vivaient depuis des siècles. Un épisode que l’IRD décrit comme « d’une ampleur exceptionnelle », et de « jamais vu en un siècle d’enregistrement de ces données ». Une piste (qui reste à prouver) ? Le changement climatique…